ZIMBABWE • "Nous pensions que cela n'arrivait qu'en Angola"

Publié le par FRIADIASPO

 
La moitié de la population vit avec 60 centimes d'euro par jour et souffre de malnutrition. A la veille des élections générales de ce samedi 29 mars, un reportage dans un pays ruiné par son président Robert Mugabe. Les chiffres ne veulent plus dire grand-chose pour les gens : l'an dernier, au Zimbabwe, l'inflation a dépassé la barre des 50 000 %. Et, depuis, elle a encore doublé. Mais ce n'est plus ce qui inquiète le peuple, ni les autres compagnons d'infortune, qui survivent tant bien que mal dans une dimension que l'économie monétaire ou la montée en flèche du taux de change effleurent à peine. La moitié des habitants du pays vivent avec 60 centimes d'euro par jour, le taux de chômage atteint 80 %, et 45 % des Zimbabwéens souffrent de malnutrition. Pour beaucoup, une mère, les chiffres ne représentent que le désespoir et la mort ; plus exactement, une mort en particulier, et la crainte que d'autres suivent. "J'essaie de ne pas trop manger, pour qu'il y ait assez de nourriture pour mes enfants, mais, même si je ne mangeais rien, il n'y aurait pas assez, explique-t-elle. Je n'avais jamais pensé qu'un jour les gens pourraient mourir de faim au Zimbabwe, ou mourir tout simplement parce que l'hôpital n'a rien. Nous pensions que cela n'arrivait qu'en Angola et au Mozambique." La maison de Sarah Chekani, à Highfield, une banlieue pauvre et surpeuplée de la capitale, Harare, est vide. Il n'y a pas de chaise, pas de lit, il n'y a qu'un matelas, qu'elle partage avec les deux enfants qu'il lui reste, deux garçons de 7 et 8 ans. Elle dispose d'une plaque à gaz, et la seule décoration de son intérieur est une affiche du Christ – un homme blanc nimbé d'une auréole dorée. Sarah n'a pas toujours vécu ainsi. Son mari et elle étaient relativement pauvres, mais lui travaillait comme intérimaire sur des chantiers et elle vendait des fripes, ce qui leur a permis d'équiper leur maison de trois pièces d'objets emblématiques de l'amélioration du niveau de vie au Zimbabwe après l'indépendance : une radio, puis un téléviseur, un canapé, des fauteuils, un lit. Mais, voilà cinq ans, peu après la naissance de leur seule fille, son mari est mort. Sa maladie a empiré petit à petit et rien n'a pu le sauver. Il n'avait déjà plus de travail depuis un moment. Sous le gouvernement de Mugabe, l'économie s'était effondrée. Ils ont dû vendre tous leurs biens à ceux qui avaient encore les moyens d'acheter. Le téléviseur leur a rapporté de quoi nourrir la famille pendant un mois. Le lit est parti pour trois fois rien. Mme Chekani a même vendu la plupart de ses assiettes et de ses couverts, ne gardant que ce dont la famille avait besoin pour un repas. Il ne reste pratiquement plus rien à vendre dans la maison, mais Sarah se débrouille. Elle vient ainsi d'acquérir 2 litres d'huile de cuisine, qu'elle vend sur le trottoir par doses de 5 cuillerées à soupe, pour une poignée de billets qui ne valent pratiquement plus rien. D'autres femmes vendent du savon à la tranche et de la farine à la tasse. Avec 100 000 % d'inflation, personne ne garde son argent très longtemps, mais tout le monde veut du liquide et s'en débarrasse aussi vite que possible en échange de quelque produit indispensable. Sarah Chekani trouve deux œufs et se défait ainsi de l'argent de la vente d'huile. Parfois, la police et l'armée confisquent les étals des marchands à la sauvette, sous prétexte qu'il est illégal de faire du commerce sur le trottoir. Pour les femmes, ce n'est là qu'une autre forme de pillage d'Etat. Grâce à son petit commerce, Sarah a réussi à faire vivre ses enfants jusqu'en novembre dernier. Puis sa fille de 5 ans est tombée malade, et elle a eu de la diarrhée et de la fièvre. Sarah a hésité à l'emmener à la clinique d'Etat de Highfield, car les tarifs n'ont cessé d'augmenter, mais, voyant que l'état de la petite s'aggravait, elle a fini par s'y résoudre. L'infirmière lui a annoncé qu'elle ne pouvait rien faire, faute d'antibiotiques pour traiter l'enfant. Elle n'a pu lui proposer qu'une cuillerée de sirop pour faire baisser la fièvre. "L'hôpital recevait beaucoup d'enfants atteints de diarrhée, à cause des égouts", commente Sarah. L'état de sa fille ne s'est pas amélioré. "Je l'ai ramenée trois fois à la clinique, mais chaque fois on m'a dit qu'elle irait mieux dès que je lui donnerais à manger et beaucoup d'eau." Une semaine plus tard, la fillette mourait. Le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans a pratiquement doublé en dix ans au Zimbabwe. Le principal hôpital public d'Harare, le Parirenyatwa, n'opère plus en raison des pénuries. Il partage son unique radiologue avec l'hôpital central de la ville, car une grande partie du personnel médical a émigré en Afrique du Sud ou en Europe pour y chercher un travail payé décemment. Mme Chekani, elle, n'a pas les moyens de s'exiler. "Je ne sais pas ce que je ferais si mes deux autres enfants tombaient malades. Où pourrions-nous aller ? L'hôpital nous dit d'acheter nous-mêmes les médicaments, mais où voulez-vous que je trouve l'argent ? Certains disent que les prochaines élections changeront les choses. Je ne sais pas. Je n'ai pas d'espoir. Ce n'est pas ce qui nous ramènera nos morts." Source:The Guardian

Publié dans Interview

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